vendredi 30 décembre 2011

Comment savoir, de James L. Brooks

Pourtant amateur de Pour le pire et pour le meilleur, et franchement adepte de Spanglish - les deux précédents films de James L. Brooks - j'avais raté Comment savoir à sa sortie. J'aimais bien, dans Spanglish, la manière dont était enfin employé le non-jeu d'Adam Sandler, ses gestes paresseux et sa voix traînante (beaucoup mieux par exemple que dans Punch-Drunk Love). Il y a dans Comment Savoir ce même mélange de précision et d'inventivité, conféré à la fois aux acteurs et à la mise en scène. J'ai retrouvé chez Balloonatic le terme exact que je voulais utiliser pour parler du style de Brooks : la plasticité. Celle-ci s'entend de deux façons. D'un côté, des plans rigoureusement forgés par le regard du réalisateur - et de l'autre, une incroyable souplesse permettant aux protagonistes de reconfigurer les scènes selon leur bon plaisir. Si Comment savoir est un film plastique, il l'est donc dans  un dialogue cinématographique entre le solide et le fluide.

Architecture, tout d'abord, de la mise en scène. Rien de plus étudié que la construction des situations dans le film de Brooks. Prenez cette scène où le personnage d'Owen Wilson invite celui de Reese Witherspoon dans sa chambre d'hôtel. Alors qu'elle hésite, il recule "pour lui donner la place de réfléchir", et voilà le portier inclus malgré lui dans le dilemme amoureux, formant avec eux un improbable couple à trois, aussi loufoque que parfaitement théorique (et symbolique du reste du film).


Comment savoir Extrait 1 par toutlecine

Il y a de même un comique purement graphique dans cette autre séquence montrant O. Wilson et R. Witherspoon  rentrant d'une soirée barbecue, sous un parapluie. Le parapluie noir est filmé du dessus, laissant apparaître un pas sur deux l'assiette de brochettes que notre bon sportif n'a pu s'empêcher d'emporter avec lui. Le brio de ces plans biens peaufinés fonctionne aussi, en effet, dans la mesure où il joue avec des personnages apparemment archétypaux : une blonde à états d'âmes, un businessman en crise, un sportif un peu benêt.

Les dialogues, au lieu de prolonger cette forme de rigidité initiale, font au contraire de chaque scène des situations façonnables par les personnages. Au-delà même de l'espace laissé aux créatures par un montage et une réalisation simples (architecture minimaliste, en quelque sorte, ou du moins sans effets inutiles : ce qu'on qualifie souvent de "classique" dans le cinéma de Brooks), l'art des dialogue devient pour les protagonistes une opportunité de prendre en main la dramatisation de leur propre vie. Le personnage de Reese Witherspoon passe son temps à rater puis à corriger ses sorties : elle sort d'une pièce, ou quitte un arrêt de bus, puis revient pour reformuler son propos - et donner à la scène une seconde chance. Car il y a toujours une seconde chance pour les personnages de Brooks. Voici un étrange scénariste qui, jamais grisé par l'harmonieux fatalisme du récit, semble déléguer son pouvoir aux personnages, comme à autant de porte-paroles. A eux, ensuite, de répéter - pour toujours mieux dire et pour toujours mieux faire. La quête du bonheur devient une quête d'harmonie dramatique où, par exemple, le personnage de Paul Rudd peut supprimer une réplique de sa partenaire en lui collant la main sur la bouche, ou se mettre à courir pour ne pas entendre ce que son père a à lui dire.


COMMENT SAVOIR : EXTRAIT 1 VOST HD (How do you... par baryla

Cette fluidité de la mise en scène des dialogues - et de la mise en scène par les dialogues - n'empêche pas de savourer le caractère inéluctable de l'instant, qui fait son inaccessible présence (où "présence" signifie "dans le présent").  Il y avait cette belle scène, dans Spanglish, où le personnage d'Adam Sandler, écoutait, assis, les confidences de son interlocutrice : celle-ci avait décidé que la conversation prendrait fin au moment où elle poserait les pieds au sol. Ce qu'elle finit par faire, non sans avoir lancé un définitif et poignant "I love you" - délicieux moment étiré, étiré encore, puis clôturé de manière irrévocable. En un sens, l'inéluctabilité des choix, des décisions et du temps qui passe n'est elle-même valable que quand elle est invoquée comme nécessaire par l'un des personnage. La seule manière de réagir pour l'autre - pour celui qui voit et qui écoute - est un respect qui le tient à distance, le réduit au statut de spectateur. Magnifique dramatisation de l'instant que l'on retrouve, dans Comment savoir, au moment où le père voit son fils rejoint par la femme qu'il aime (il sait que cette situation le condamne, mais il la contemple tout de même, en spectateur ému).

Cette double manière de s'incliner devant la beauté unique (non reproductible) du moment, et de vouloir cependant le rejouer et le reprendre à son compte, est bien figurée par la scène de la maternité. Un homme déclare sa flamme à la mère de son enfant, demandant au personnage de Paul Rudd de tenir la caméra. Bien sûr celui-ci fait une mauvaise manip et oublie de filmer. Le personnage de Reese Witherspoon prend les choses en main et leur propose de rejouer la scène, donnant à la situation une nouvelle couche de signification : transformant par le jeu et la mise en scène sa propre empathie de spectatrice. C'est ainsi que respire, dans Comment savoir, la rareté du bonheur : à jamais perdu, in-imprimable sur pellicule, il ne s'approche que dans le travail d'hésitation, de répétition, de développement que les acteurs entreprennent.



jeudi 29 décembre 2011

Shame, de Steve McQueen - quand il n'y a pas de rapport sexuel


Moins qu'un trip sur l'addiction à la Bad Lieutenant, Shame est un film sur la solitude dans la ville moderne. De l'opacité du visage, longuement filmé, de Michael Fassbender jusqu'aux plans qui se cognent aux baies vitrées d'un appartement, au miroir d'une salle de bain, ou aux fenêtres du métro, il y a dans le film de Steve McQueen comme un vide essentiel. "Il n'y a pas de rapport sexuel", comme dit l'autre : le sexe n'est ici qu'une construction solitaire, finissant par se nourrir d'elle-même et de son propre vertige, dans un cycle de répétitions et de rimes visuelles. 

Puritain ou non, il est certain que le film est hanté par la notion de péché. Et le péché semble ici une négation de la chair, curieusement absente à l'écran : quelle équivalence plus chrétienne peut-on trouver que celle enchaînant une irréelle orgie sexuelle, vers la fin, au sang bien réel de la sœur dans la salle de bain ? En somme, l'addiction de Brendon est un crime de l'esprit contre le corps, et non l'inverse. C'est la victoire de l'obsession, de l'imagerie mentale, contre le corps qui se donne. En ceci, Shame nous parle autant d'impuissance que d'addiction.

PS : On peut penser ce que l'on veut de cette culpabilité, de cette notion de honte, c'est au moins une émotion qui donne au film une tonalité. Ce dont un film comme A Dangerous method, traitant pourtant de sujets voisins, est terriblement dépourvu.

lundi 19 décembre 2011

Top cinq 2011

Tintin d'un côté, Tree of life de l'autre : nous aurons eu le droit, en 2011, à deux propositions de cinéma aussi extrêmes que radicalement opposées. J'ai raté trop de films cette année pour que mon top vaille vraiment quelque chose. Mais 2011 restera pour moi une année essentielle, au sens littéral : on y a découvert un cinéma hanté par ses origines et happé, avec le numérique, par le vertige de ses développements possibles. 

En réponse au deuil de l'ancien monde, on a vu des personnages contempler les origines de l'existence (Tree of life), confronter leur regard à l'impossible (Super 8), ou ressusciter d'antiques chevauchées (True Grit). Mais les fantômes du cinéma, le travail du deuil, auront aussi donné un film décevant comme Hugo Cabret, ou un exercice subtil comme The Artist. La Piel que habito pourrait être lu comme l'allégorie de ce cinéma qui change de peau, qui cherche une nouvelle profondeur à travers sa superficialité renouvelée. La Planète des singes fait de cette mue une théorie de l'évolution : la performance capture comme prochain stade - révolutionnaire ? - du jeu d'acteur. On pourra préférer, à ce messianisme technologique, deux voies pour le cinéma numérique. La voie de la continuité, avec Real Steel, ou celle de la fuite en avant, avec Tintin. Cette seconde bifurcation est celle du divertissement pur. Bulles de matière artificielle, jeux de reflets, Spielberg a inventé quelque chose d'entièrement neuf et de terriblement beau.

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Top 2011*

* Dans l'ordre : Tree of lifeTintin et le secret de la licorne, Super 8, Real Steel, La Piel que habito

Hugo Cabret - Martin Scorsese : voyage à travers le cinéma défunt

Il faut croire que le films "personnels" ne réussissent pas à Scorsese. Avec sa Dernière tentation, il avait fait son mauvais film sur le Christ, voilà qu'il signe, avec Hugo Cabret une oeuvre décevante sur le cinéma.

L'idée d'une 3D utilisée comme les décors carton-pâte de Méliès peut sembler intéressante, mais en fait non. Quel est l'intérêt de cette esthétique décorative ? Est-ce vraiment cela que nous voulons garder du cinéma naissant ? Tout ce qu'il y a de vivant, dans Hugo Cabret, ce sont ces cendres tombées d'un mouchoirs, ou ces feuilles volantes, échappées d'une mystérieuse boîte. Nous sommes, le reste du temps, dans une gare-mausolée de fort mauvais goût.

Hugo Cabret est un film mécaniste, c'est-à-dire une oeuvre inerte, remontée comme un automate. La vie n'y a pas de dynamique propre. L'exact inverse de Tintin, célébrant la vie, la plasticité, le mouvement créatif de la matière synthétique.

Scorsese donne l'impression d'écouter le tic-tac de son cinéma, oubliant pendant ce temps de faire un film. Ce qui donne, à tous les niveaux, une oeuvre infiniment triste.

lundi 5 décembre 2011

Gentleman Jim


La beauté de Gentleman Jim est toute concentrée dans les gestes précis et désinvoltes de l'acteur, Errol Flynn. "Il aurait pu être danseur", suggère le pasteur en regardant son jeu de jambe. Pas sûr, car la chorégraphie du ring n'est pas gratuite, elle est toujours l'instrument d'une victoire. C'est même ce qui en fait la noblesse. Etre aristocrate, chez Walsh, est synonyme de faire l'aristocrate : s'habiller de la meilleure des manières, remettre ses cheveux en place, devenir champion du monde de boxe, séduire une riche héritière. L'Amérique est le pays où la noblesse se conquiert. Et la grâce de ce mouvement, la tension de ce désir, seul le cinéma pouvait honnêtement en rendre compte.