lundi 29 novembre 2010

Le Monde sur le fil, de Fassbinder


Connaissant mal Fassbinder, je n'avais eu du Monde sur le fil qu'un écho bourdonnant de références. Par ordre alphabétique: 2001, Avatar, Farenheit 451, Inception, Matrix, Shutter Island. Autant vous dire que j'ai eu du mal à voir dans ce film le concept du vortex de la matrice du cinéma d'anticipation moderne, tel qu'annoncé sur le packaging. Déjà, tout bêtement, parce que le futur du Monde sur le fil a beaucoup plus mal vieilli que ceux imaginés par Truffaut ou Kubrick. On a beau faire tous les efforts de conceptualisation, le décor de centre commercial, le mobilier de salle d'attente, l'atmosphère de tabac froid ne font pas l'affaire. Et les quelques virtuosités de mise en scène ne désengluent pas l'ensemble d'une esthétique molle et froide. Première rencontre avec Fassbinder ratée.

NB: Merci à Cinetrafic pour ce dvd. Le Monde sur le fil, sorti le 6 octobre en dvd, est distribué par Carlotta.

samedi 27 novembre 2010

Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans, de Werner Herzog

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Il est étonnant de voir avec quelle liberté Werner Herzog s'empare du titre et de l'histoire du film d'Abel Ferrara. Un film violent et mystique, qui valait moins pour son côté scorsesien que pour sa course au pari le plus fou, entre le défi sacrilège et le renoncement absolu. Ce côté-là, on a l'impression que Werner Herzog en joue avec amusement dans le prologue du film. Il nous montre notre futur lieutenant hésitant avant de faire la grand saut, hésitant avant de se mouiller pour sauver un renégat de sa prison inondée. Juste avant il nous le montre, avec son camarade, parier sur le sort du malheureux. La saynette a l'air de rassembler dans une caricature les enjeux du film de Ferrara, comme pour s'en libérer une dernière fois, et en faire quelque chose de tout autre.

Snake eyes

On pourrait croire cette scène amenée comme un péché originel par un serpent que l'on suit dans les eaux de la prison (le film se passe juste après Katrina). Et pourtant c'est un acte de bravoure qui ouvre le film, et condamne en même temps le personnage. Le serpent n'était pas la Tentation, il n'était qu'un serpent. Tout le reste du film fonctionne par ce rabattement de la symbolique du mal (serpent, pari, sexe, drogue) sur une animalité toute bête, comique parfois, absurde souvent. Mais pas n'importe quelle animalité : la démarche est reptilienne, ondulante et à ras du sol.

Reptilien, ce Bad Lieutenant – escale à la Nouvelle-Orléans a bien l'air de l'être aussi dans sa narration. Pas de trajectoire courue d'avance, pas de descente en enfer en attendant le salut, notre mauvais lieutenant avance selon l'envie. Scènes de crime, retrouvailles avec son Eva Mendes de prostituée, paris auprès de l'ami bookmaker, équipée avec une bande de dealers, le serpent va où son instinct le porte. Le crime à résoudre n'obsède pas l'esprit du reptile, il tourne autour comme indifférent, puis s'y infiltre comme le ver dans la pomme, quand on le l'attendait plus.

Nicolas Cage est parfait. Son jeu fait de statures voutées, de grimaces et de rires hystériques est suffisamment fou pour nous porter vers quelque chose d'inhumain. Rien de plus naturel que la drogue pour ce personnage: en même temps qu'il fuit sa douleur, il retrouve son expression la plus primitive, la plus animale. Et c'est quelque chose dont s'amuse Herzog avec beaucoup de délectation et d'audace, quand il prête à sa caméra le point de vue hallucinatoire d'alligators ou d'iguane, en prenant l'excuse de la drogue. Car il y a aussi une dimension ludique dans ce film, le cinéaste jouant avec les différents tons, du policier très noir jusqu'à la pure comédie (le moment où le lieutenant est tiré d'affaire est traité de manière étonnamment enlevée, les personnages se succédant hilares à son bureau).

Par-delà le bien et le mal

Si l'enquête en elle-même n'occupe qu'une place secondaire dans l'intrigue de Bad Lieutenant version Herzog, c'est qu'il n'y a pas cette obsession du péché qu'il y avait dans le film de Ferrara. Le personnage joué par Harvey Keitel voyait sa vie totalement désaxée par un acte sacrilège (le viol d'une bonne soeur), dont il ne pourrait s'empêcher de porter la culpabilité, pour le pire et le meilleur. Pas de notion de bien et de mal, dans cette Escale à la Nouvelle-Orléans, simplement parce que ces valeurs n'ont pas lieu d'être dans le cycle naturel qui régit cette jungle. A l'image, cela fait que l'enquête est dépouillée d'une part de sa violence, dans le découpage, dans les couleurs – pour quelque chose de plus sombre peut-être, mais de plus atténué.

L'absence de toute culpabilité invalide l'idée même de salut pour ce mauvais lieutenant. Il n'y a de rédemption que sociale: la seule issue pour le personnage de Nicolas Cage est de devenir capitaine. Et encore, l'intrigue ne nous installe pas du tout dans un schéma linéaire de damnation/rédemption, mais plutôt dans un système cyclique imitant celui de la nature. Au moment où l'on pourrait croire le personnage sauvé, il y a ces rimes visuelles qui distillent l'idée d'un éternel recommencement. En son début et en sa fin, le film a pourtant une clôture qui est celle d'un monde halluciné, une jungle où la nature rêveuse de l'homme serait toujours ramené à son animalité – du poisson dans un verre d'eau à notre lieutenant assis devant un aquarium géant. Du grand film chrétien d'Abel Ferrara, Werner Herzog a fait une excellente errance païenne.

Magie du roman - Harry Potter et les reliques de la mort (première partie)


Après les épisodes trois et quatre d'Harry Potter au cinéma, l'intérêt porté à la franchise était quelque peu retombé – les opus cinq et six, réalisés par David Yates, étaient gris et plats, dévastés par une mélancolie indolore. Avec cette première partie du dernier film de la série (ça commence à faire compliqué), Les Reliques de la mort (toujours de David Yates), il semble bien que certaines brèches, ouvertes dans les contributions d'Alphonso Cuaron (Le Prisonnier d'Azkaban) et de Mike Newell (La Coupe de feu), aient sérieusement gagné en profondeur.

Par excellence romanesques, les adaptations d'Harry Potter fonctionnent quand la narration est intelligemment conçue. Temps et lieux étaient subtilement agencés dans l'épisode 3. Cuaron avait fait du pouvoir d'Hermione de remonter le temps le pivot de son histoire en trois étapes. A ce jeu sur les temps succède dans le nouvel épisode un travail sur les lieux. Avec la magie nos trois héros passent sans prévenir d'un endroit à un autre, de paysages montagneux en paysages désertiques. C'est l'occasion de passages étonnants, des saynettes collées les unes aux autres dans des transitions parfois abruptes (la gueule du serpent) et parfois très douces (de sobres fondus au noir). Par la magie encore les lieux et les tons se superposent, l'ici et l'ailleurs s'offrent comme données relatives et manipulables. C'était le mérite de l'épisode 4, de jouer ainsi par les raccords sur la manipulation et la relativité des points de vue. Mais ici ce n'est plus d'un système qu'il s'agit: David Yates se contente avec succès des ruptures de rythme et des changements de ton – comique british dans les situations délicates, gaucherie adolescente aux moments critiques, jolie séquence d'animation en pleine cavale...

Par excellence romanesque, les adaptations d'Harry Potter fonctionnent quand elles laissent la part belle aux personnages. Confronté à l'altérité et à l'altération, le Harry Potter des Reliques de la mort est un personnage qui a gagné en complexité. Les autres, ce sont les amis dont la fidélité est éprouvée par les événements. Ce sont aussi les mangemorts, les elfes et les moldus – autant de protagonistes qui forment le semblant de parabole politique, suffisamment peu appuyée pour laisser le romanesque prendre le dessus. Et surtout cette altérité n'est pas figée, elle est là pour imposer au héros l'épreuve de l'altération. Comme jadis le Spiderman de Sam Raimi, Harry Potter éprouve au seuil de sa vie adulte une série de mutations physiques (du changement d'apparence à la déformation du visage), toujours prétextes à des contrepoints comiques. De manière générale notre héros a la démarche gauche et peu assurée d'une personne portant son destin comme des habits trop grands.

David Yates a (enfin) su retrouver au cinéma le mélange de futilité et de gravité qui fait le charme de cette épopée moderne. Et peut-être n'est-il pas anodin qu'il n'y parvienne qu'après deux précédents tiédasses, comme si la mécanique romanesque ne marchait plus au cinéma que sur le mode sériel et patient du feuilleton.

mardi 23 novembre 2010

Petits miroirs et gros mouchoirs


N'arrivant pas à savoir quoi penser du nouveau film de Guillaume Canet, je me contenterai d'émettre deux hypothèses.

Première hypothèse : Ce n'est qu'un mauvais film. Canet essaie de sauver ses personnages de la caricature en étirant les situations jusqu'à des sommets d'ennuis, parfois vallonnés de débuts de fou-rires. Au lieu d'un vrai sens comique, il se revendique d’un supplément d'âme... Dont nous n'aurons que le supplétif : le miroir mal foutu et complaisant d’une bande pas sympathique du tout. Et en plus il faudrait les plaindre. Aucune peur du pathos, c'est louable, mais surtout aucune crainte du pathétique dans cette scène d'enterrement qui ressemble à la divagation narcissique d'une personne imaginant son propre enterrement.

Seconde hypothèse : C’est le film d’un désespéré radical. Canet essaie de sauver ses personnages de la caricature dans laquelle la vie elle-même tend à les enfermer - et le film raconte l’échec de cette entreprise, non sans quelques rires jaunes. Sous le masque de la comédie, il y a donc un drame... Voire une tragédie : le miroir est implacable, le reflet qu’il donne est effrayant de vanité. Le tableau est d’autant plus pathétique qu’il n’y a personne pour contrebalancer la médiocrité générale, du coach sportif pratiquant un jargon grotesque au Jean-Louis du cru, qu’on ne peut pas prendre au sérieux tellement il ressemble au marchand de sable d’un rêve d’enfant.

Il me semble, malheureusement, que la première hypothèse soit la plus probable. Mais je n’y mettrais pas ma main à couper - et je ne suis pas le seul. Médiocre ou pessimiste, Les Petits Mouchoirs m’aura dans les deux cas laissé un souvenir déplaisant.

samedi 20 novembre 2010

Back to the XXth century - Unstoppable, de Tony Scott


Si Unstoppable suscite un vent d'enthousiasme dans une certaine critique, c'est probablement pour la double raison que ce film est le contrepied parfait au cinéma honnis de l'immobilisme sociologisant et que ce contrepied est amené dans une telle épure qu'il semble fournir naturellement aux commentateurs les outils pour son analyse.

C'est vrai qu'il est toujours agréable de voir enfin un film d'action qui n'est que ce qu'il est. Qui dure pile 1h30, nous sert des cheminots beaux-gosses aux dents blanches, et ne prétend à aucun discours prétentieux. Tout, en somme, pour se concentrer sur l'essentiel du film: le mouvement.

Cette séduction du mouvement est simple autant que paradoxale. C'est une manière basique d'imposer un cinéma qui va à toute vitesse et dont l'énergie brute emporte tout sur son passage. Il y a quelque chose de moderne dans cette fascination pour la monstrueuse force créée par la machine. Mais il y a aussi un futurisme délicieusement daté dans cet éloge de l'action à l'état pur. Et on s'aperçoit que, malgré les effets breaking news, malgré les circonvolutions de la caméra, l'obsession de l'énergie fait plus penser au Raoul Walsh de Manpower qu'à tout autre film récent.

Pour pousser plus loin, on pourrait dire que Unstoppable s'inscrit dans une tradition qui associe le cinéma à la machinerie contemporaine. De l'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat au Duel de Spielberg, le cinéma du XXième siècle nous a fourni d'impressionnants exemples de ces bestioles métalliques. D'autant plus effrayantes, ces bêtes-là, qu'elles sont des systèmes vides et sans but, de pur blocs de mouvement exponentiel. Dans le cas du film de Tony Scott comme dans celui de Spielberg, l'intrigue est tellement réduite à néant qu'il ne nous reste qu'à contempler les roulements de mécanique - il n'y a plus d'autre sujet que la vitesse du train, il n'y a plus d'autre sujet que le cinéma comme art du mouvement.

L'impression que l'on garde d'Unstoppable, c'est son surprenant archaïsme vis-à-vis du cinéma américain actuel. Un culte de la puissance technique à mille lieux de la technologie paralysante d'Avatar et une massivité très concrète qui aurait de quoi faire perdre la foi à tous les personnages de Matrix ou d'Inception. Ca ne va pas chercher loin du tout, c'est même terriblement bas du front, mais c'est un bel objet, sorti tout droit du XXème siècle.

Mad Men


Depuis qu’elle est diffusée sur Canal plus, Mad Men est devenue la série à la mode. L’atmosphère enfumée, gominée et bien sapée de ce feuilleton sur l’âge d’or de la pub à Manhattan hante depuis la rentrée les esprits, les journaux et les blogs. Il faut dire que la série a beaucoup pour occuper nos pensées: une esthétique soignée, des personnages aussi mystérieux que classieux et un impressionnant catalogue de jolies dames. Don Draper, le personnage principal, est un ténébreux au passé trouble, qui parle à ses clients annonceurs comme il séduit les femmes. C’est dans l’ombre de ce personnage qu’évolue une famille apparemment parfaite (son épouse, Betty, est sublime) et une galaxie de créatifs, de rédacteurs et de chargés de clientèle formant la population de l’agence de publicité Sterling Cooper.


La suite de l'article sur Encore une fois.

vendredi 12 novembre 2010

Les enterrés vivants - City of life and death, de Lu Chuan


Une œuvre belle et déroutante que ce City of life and death, qui commence comme un film de guerre, se transforme en drame historique et se termine en marche onirique.

Le noir et blanc connaît autant de justifications que le film connaît de phases. Dans un premier temps c’est le style document d’époque, dynamisé et dynamité par un montage serré. Dans un second temps c’est l’esthétisation de silhouettes humaines – la dramatisation de leur destin. Et dans un troisième temps l’expressionnisme, la symbolique, la puissance solaire de l’armée japonaise et la lumière dévorée par les ténèbres.

Le film de Lu Chuan, qui raconte les sévices infligées à la population chinoise de la ville de Nankin par l’armée japonaise, en 1937, a peut-être une petite demi-heure en trop. Pourtant pas d’effet Le Pianiste dans la méthodique description de cette tragédie. Lu Chuan ose les moments forts et les thèmes musicaux appuyés. Il peut se le permettre parce qu’il nous attire lentement dans un état second, dans une réalité déformée par l’horreur, engourdie par la douleur, et où se déchaîne une beauté paradoxale.


NB:

Merci à Cinetrafic pour ce dvd. City Of life and Death est un dvd édité par Seven7, qui paraîtra le 23 novembre.