mercredi 30 janvier 2008

No Country for old men - les formes du destin




Mais qu'allaient-ils faire dans cette galère? Il faut dire que le pari n'était pas sans risque: voler à deux millions de dollars à des cadavres - c'est la faute originelle de Moss dans le roman - ou faire du livre de Cormac Mc Carthy un film noir Coen Bros, ce genre de décision se paye au prix fort. Il en fallait de peu, en effet, pour que les frères Coen ne s'emprisonnent dans les mailles d'un genre, le film noir, ou ne sombrent dans le gouffre de l'oeuvre de Mc Carthy: No Country for old men. Et c'est probablement en faisant les deux à la fois qu'ils parviennent à maintenir, temporairement du moins, le film en équilibre.

On retrouve donc le personngae, traditionnel chez les Coen, du héros condamné par ses propres actes: dans les sables mouvants, agir revient à aider le destin à nous engloutir un peu plus. Se débattre, c'est étouffer. Les frères Coen jouent sur les codes du genre - motels, cadavres dans la piscine, crime scenes (il manque certes la femme fatale) - pour en accentuer la portée tragique. Et Moss n'aura pas le droit à une vraie mort. L'angoisse est abolie par une ellipse qui ne nous livre que la silhouette de son corps déja refroidi.

L'inhumanité du destin a un représentant. Curiosité du film - il est vrai que Javier Bardem est impressionnant -, le personnage est aussi omniprésent qu'absurde. Deux traits tellement soulignés par la mise en scène qu'ils déteignent sur la tonalité du film: qu'est-ce, au fond, que le destin, sinon un psychopathe à coupe de fillette qui se balade, bouteille d'oxygène en main, pour tuer les gens par plaisir? La question en deviendrait presque naturelle.


Mais Chigurh, car c'est son nom, n'est pas qu'une ombre, il n'est pas errant. Son ingéniosité imperturbable est tendue vers une fin précise: récupérer l'argent volé aux morts, ceux du commencement - un peu comme on dit "rendre à la mort son tribut". En cela, en cette impassible obsession qui est toujours là, même quand les choses se compliquent, il s'oppose diamétralement à Moss, dont toute action se perd dans une technique qui produit de nouveaux problèmes à résoudre, de nouvelles situations à débloquer, de nouveaux pièges à déjouer.

Contemplant tout cela en spectateur, comme s'il lisait le journal (il ne manque pas de le faire, pour commenter les faits divers), le shériff Bell ne croit pas dans la fin de son enquête. Rien ne sera dévoilé, tout restera opaque, comme l'obscur récit qu'il fait de son rêve, à la toute fin. Il en est de même pour ce film qui ne se termine pas vraiment. Et ce n'est pas tant le résultat qui fascine, dans ce film intrigant, que l'énergie employée - par Moss, par la mise en scène - à trouver une issue. Peu importe que le film soit abouti ou inachevé: il a la beauté d'une impasse.

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