jeudi 29 novembre 2007

Once


Fut un cinéma où, par la musique, le quotidien volait en éclats. C'étaient les comédies musicales. Les performances corporelles de Gene Kelly, l'équilibre miraculeux de Fred Astaire transformaient le monde en mélodies. Un objet banal devenait le centre d'un univers de rêve qui, très vite, se distordait pour former à nouveau une harmonie improbable, nouvelle à chaque chanson. Impossible n'était pas hollywoodien.

Quand la magie a cessé, qu'est devenu le film musical? Nous avons aujourd'hui le biopic, de préférence linéaire et réaliste, ponctué par les tubes - c'est Ray ou Walk the line. Tout ça est forcément un peu nostalgique, un peu vain.

Once instaure un dynamisme, un principe nouveau dans le genre. Et c'est presque exactement l'inverse de ce qui se passait dans les vieilles comédies musicales. Il ne s'agit plus, en effet, de faire exploser le possible dans le souffle d'une rengaine, vers un ailleurs infini, mais de s'attarder là où l'on est, de fixer l'instant en sa quintessence - jusqu'à heurter l'impossible.


L'instant, c'est justement une chanson, l'union fugitive d'un duo improvisé. L'album enregistré par nos deux personnages n'existera que par leur désir conjoint de retrouver la brêve harmonie qui fonda leur relation. Loin de la force centrifuge du musical classique, le mouvement de Once semble tendu vers le centre: l'origine. Le film de John Carney évoque le besoin d'enregistrer l'instant pour en retrouver la saveur et lui donner une trace éternelle, avant qu'il ne s'en aille à jamais. C'est ce même besoin qui fait exister le cinéma. Et c'est ce qui rend le film poignant: ce qui unit les personnages, comme la chanson, comme l'album qu'ils enregistrent, comme le film, n'a qu'un temps - once...

jeudi 22 novembre 2007

Robert Redford et les transports en commun



Nous n'avons plus le monopole de la flemme. Tenez, voici un joli trio d'acteurs américains touchés par la grêve des transports. Si si, regardez bien l'affiche. N'ont-ils pas des airs de traumatisés du métro, des visages comme bloqués entre deux portes? Leurs regards angoissés ne vous demandent-ils pas un peu de place dans cette galère, avant que ne retentisse le signal strident de l'implacable départ?



Fonctionnaire pour fonctionnaire, Robert Redford est à la fois le vieux cheminot du film "politique" et le petit prof du parti démocrate. Ce qu'il aime, le vieux beau - désormais plus vieux que beau, il faut l'avouer -, c'est l'engagement. L'engagement soft, bien sûr, l'engagement on the rock. Celui par exemple de miser tranquillement sur le capital-détestation de Tom Cruise pour en faire un Républicain, sur les timides gémissements de Meryl Streep pour en faire une journaliste consciencieuse et sur sa tête-de-mort de blond pour jouer au vieux sage. Ah oui, il y a aussi les deux soldats immigrés dans leur Afganistan de studio - qui se sont engagés littéralement: dans l'armée, les cons.



Les grévistes croient toujours nous apprendre ce qu'est l'engagement. Le geste militant de Robert fut, en vertu de cette règle, d'arrêter son film au milieu. Quel flemmard ce Bébert! Il nous fait le coup du silence éloquent pour ne pas se fatiguer à parler. Mais l'abîme de perplexité dans lequel tu crois nous avoir plongés, c'est un abîme d'ennui profond! On s'emmerde déjà assez dans le métro pour ne pas aller en plus s'embarquer dans le train-train de ta bonne conscience! Allez, à la retraite anticipée le Robert.

lundi 12 novembre 2007

Le Royaume

Quelle tristesse un film à la Michael Mann qui n'est pas de Michael Mann...

vendredi 9 novembre 2007

L'Ombre du double langage




La barbarie, Cronenberg l'évoque par le bon bout. Le bout de la langue - sans mauvais jeu de mot car ici le petit bout de chair et la demeure de l'esprit sont désignés ensemble. Et dans deux langages différents, deux mondes apparemment étanches l'un à l'autre. Aux codes d'honneur du milieu vient se heurter la parole quotidienne d'une communauté familiale, à la sombre froideur de Viggo Mortensen la beauté maternelle de Naomi Watts, aux cadavres et aux meutres la fragilité du nouveau-né.

Pour ajouter à l'ambivalence l'anglais vient recouvrir maladroitement un russe guttural, toujours charnel. (Ironie du sort: j'avais vu La Mouche, du même Cronemberg, sur une télé russe avec une grossière doublure par-dessus les dialogues - ce qui n'avait fait qu'ajouter au gore un mélange monstrueux des langues... Expérience doublement traumatique donc, et qui trouve avec ce nouveau film un écho inattendu.)

Mais les deux mondes n'existent pas forcément qu'en opposition. Le sang de la jeune mère - celui, aussi, de l'égorgement qui ouvre le film - est bientôt celui de l'enfant, celui de la naissance. Forme de violence dialectique, donc, que Cronenberg n'aura de cesse d'entretenir - l'enfant s'appelle Christine: comme Christmas fait-on la remarque, comme pour pointer vers le chemin de la résurrection.

Hésitation constante entre froid et chaud, entre ombre et lumière, jusque dans des parallèles étonnants (Naomi Watts semble bien utiliser le même sèche-cheveux que celui qui servit à décongeler un cadavre...) Car il y a un lien, une ouverture inattendue entre les deux mondes, c'est un journal intime, une parole que nous entendons en voix off tout le long du film, parole de confession qui devient l'enjeu même de l'intrigue. Comme une échappée du monde des morts vers celui des vivants.

Qu'est-il fait de cette ouverture? C'est là que se posent les vraies questions sur la Promesse de l'ombre. Il semble bien, en effet, qu'après un tremblement, une vibration - qui est aussi celle de l'attirance entre l'homme et la femme, celle d'un amour possible - rien n'est fait de ce lien. Rien, la dialectique n'était qu'illusion sophistique. Ce qui demeure ce sont des attirances stériles, des sensualités sanglantes, des symboles de chair - les tatouages - qui mènent à la mort, et finalement à rien d'autre.

Les deux mondes seront restés étanches l'un à l'autre. Qu'est-ce, alors, que ce héros ambigu? Une révélation absurde fait de lui un agent russe infiltré et nous fait du même coup basculer dans l'intrigue policière. Cronemberg nous laisse alors à la contemplation d'un monde binaire, l'un, tout attendri, de la mère et de l'enfant, l'autre, sanglant, des combats et de la débauche. Le film lui-même semble avoir deux fins.

Preuve de subtilité ou désir de satisfaire dans un même geste les passions de tous: difficile à décider. Elle est trouble la fontière entre le portrait d'une ambivalence et l'hypocrisie d'un auteur - avouons-le, la posture d'auteur a aussi désormais une déclinaison commerciale. Probablement me faudrait-il mieux connaître l'oeuvre du cinéaste pour bien en juger...


jeudi 1 novembre 2007

Sans Scarlett.


L'arriviste de Match point s'est dédoublé. Il y aura d'un côté l'amoureux des images, des illusions et de la mauvaise foi et de l'autre une tête de turc, un noeud de petites combines torturé de grandes questions. C'est aussi le divertissement et la conscience. Seulement ici la conscience, qui très vite n'est plus qu'angoisse stérile, n'a pas des allures moins lamentables que le divertissement - c'est juste que l'un ne peut plus vivre quand l'autre continue un instant de planer sur son vide.



Deux personnes pour un dialogue moral, pour une délibération et une responsabilité, c'est précisément ce que nous n'avions pas dans Match point, à part les représentants fantomatiques de la justice immanente, à la fin du film. Mais ce dialogue, ce combat plutôt, n'a d'issue que mortelle. Nous revoilà dans le film noir, ou dans la tragédie grecque - on ne sait plus trop.



Ce Rêve de Cassandre est celui d'une rédemption par les apparences - illusions qui se nourrissent de noirceur et élargissent finalement l'ombre: c'est Terry et sa névrose, Terry et le jeu, Terry et l'alcool et les pilules et la culpabilité.



Pas très érotique le rêve. On a bien une brune une blonde, comme dans tout bon film noir, mais la figure de l'actrice est tenue à distance de scène et la plouc anglaise n'est qu'une Scarlett Johansson dégonflée, rabougrie, sans charme aucun. Le rêve n'a plus la substance vitale, il porte déjà en lui la mort. Normal, vous me direz, d'être présage de malheur pour un rêve de Cassandre.